Publié le 15 février 2021 à 23h43.
Mis à jour le 27 juin 2023 à 18h54.

Objectif de l’article

Beaucoup de gens se demandent ce qu’est le taiji quan (écrit aussi tai chi chuan). On peut traduire cette locution par boxe (quan) du faîte (ji) suprême (tai). La traduction littérale suggère qu’il s’agit d’un art martial. Mais est-ce vraiment un art martial, ou un art énergétique, ou une gymnastique de santé, ou une pratique de relaxation, ou encore une forme de méditation en mouvement ?

L’objectif de cet article est d’expliquer ce que désigne « taiji quan ». Un bref survol de son histoire permettra de comprendre comment un simple art de combat s’est transformé en une multitude de pratiques allant de gymnastiques de bien-être jusqu’à un art martial dont l’efficacité a été démontrée pendant plusieurs siècles.

Les origines du taiji quan

Les origines du taiji quan sont inconnues. En effet, les historiens estiment en général que l’on ne dispose pas de suffisamment de textes fiables datés d’avant le 17e siècle pour savoir ce qu’était cette discipline à cette période. Plusieurs théories existent, mais aucune n’a pu être confirmée.

En revanche, à partir du 17e siècle de nombreux témoignages écrits cohérents permettent d’avoir une idée un peu plus précise de l’évolution du taiji quan jusqu’à nos jours.

Le taiji quan du 17e au début du 20e siècle

Du 17e au début du 20e siècle le taiji quan était un art martial chinois pratiqué presque exclusivement par une famille, les Chen, afin de défendre leur village Chenjiagou (Vallée de la famille Chen) contre tous types d’envahisseurs. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, il s’agissait d’un art de combat probablement sans lien avec la philosophie ou la médecine chinoise.

La Figure 1 indique la position du Monastère de Shaolin situé à une cinquantaine de km de Chenjiagou. Les deux lieux sont indiscernables à l’échelle de la carte.

Figure 1 : Position du monastère de Shaolin près de Chenjiagou en Chine.

Le premier grand combattant de taiji quan reconnu historiquement fut Chen Wangting (1600-1680). La Figure 2 en montre une statue. Il était en 1641 le commandant de la milice qui défendait le district de Wen, et il aurait rédigé un petit traité de taiji quan. À sa retraite, il s’est principalement consacré au perfectionnement de son art et à son enseignement à ses enfants.

Figure 2 : Statue de Chen Wangting.

La tradition d’enseigner l’art exclusivement à ses descendants a perduré jusqu’au début du 20e siècle, confinant ainsi le taiji quan essentiellement à la famille Chen. Néanmoins, il y eu des échanges avec les moines de Shaolin, mais on n’en connaît pas la nature exacte. Certaines personnes extérieures à la famille Chen, comme Yang Luchan (1799-1872), bénéficièrent de l’enseignement de maîtres Chen, mais ce fut rare jusqu’au 20e siècle. On peut noter que, bien que l’on pense que Yang Luchan pratiquait ce qu’il avait appris de son maître Chen Changxing (1771–1853), il en enseigna une version très simplifiée que l’on appelle aujourd’hui le style Yang. Il s’agit du type de taiji le plus répandu en Chine comme dans le reste du monde.

Le taiji quan du début du 20e siècle à nos jours

Des maîtres Chen commencèrent à quitter Chenjiagou dès le début du 20e siècle. Par exemple, Chen Fake considéré comme le dernier très grand combattant de taiji quan rejoignit son neveu Chen Zhaopi à Beijing en 1928 pour l’aider à écraser une mafia locale. La Figure 3 montre une photo de Chen Fake.

Figure 3 : Chen Fake.

La réputation martiale des maîtres Chen grandit très rapidement grâce aux nombreux défis de combats qu’ils relevaient. En effet, à cette époque vaincre un maître reconnu était un moyen de se faire un nom pour attirer des disciples. Ils étaient donc très souvent sollicités, et certains comme Chen Fake seraient restés invaincus jusqu’à leur mort.

Un mysticisme naquit autour du taiji quan en raison de la large supériorité martiale de ses maîtres dans leurs environnements. De nombreuses personnes furent par conséquent attirées par cette discipline en lui prêtant des vertus philosophiques, médicales et magiques bien au-delà de la réalité. Pourtant le taiji n’était qu’un art de combat.

Plusieurs maîtres ouvrirent en dehors de Chenjiagou des écoles de taiji quan destinées au grand public, mais en général ils n’enseignaient que quelques miettes de leur pratique. Ils réservaient les vrais principes à un ou deux héritiers qui conservaient à leur tour les fondements de l’art dans le secret. Leurs disciples ressentaient des progrès en combat mais ils ne recevaient jamais les connaissances leur permettant de défier leurs maîtres.

Ne pas enseigner les principes de taiji revient à ne pas enseigner la discipline. En effet, le taiji quan n’est pas un art martial de techniques mais un art s’appuyant sur des principes de postures et de mouvements. Appliquer ces fondements engendre une grande force, permet une vitesse impressionnante d’exécution et assez paradoxalement une décontraction profonde. Des recherches occidentales en biomécanique ont permis d’expliquer une partie de cette force d’apparence « magique » développée par les grands maîtres de taiji. J’y reviendrai dans un prochain article. Réaliser un mouvement de taiji sans ces principes limite notablement l’effet de l’art. Cela ne signifie pas qu’il soit impossible de produire force, vitesse et décontraction sans ces préceptes, mais alors avec d’autres mouvements que ceux du taiji.

Comme cela a été mentionné plus haut, le grand mysticisme régnant autour du taiji quan attira dès la première moitié du 20e siècle un grand nombre d’adeptes. N’ayant jamais étudié les principes fondamentaux de la discipline, une écrasante majorité de ces pratiquants en ont diffusé des versions de plus en plus simplifiées, vidant progressivement l’art de son contenu. Ce fut d’abord le cas en Chine et puis de façon plus drastique en Occident.

Quelques maîtres ont réellement ouvert leur pratique à un public un peu plus large à partir de la seconde moitié du 20e siècle. Ce fut le cas de Ma Hong (1927-2013, cf. Figure 4). Ils ont malheureusement été peu nombreux par rapport à ceux qui ont perpétué la tradition du secret. Leurs efforts n’ont pas permis d’endiguer la diffusion un peu partout dans le monde de versions de taiji n’ayant plus guère de points communs avec l’art originel.

Figure 4 : Ma Hong.

Un point ayant largement contribué à la multiplicité des versions de taiji quan peut être souligné. Il est conseillé de réaliser les mouvements très lentement en début d’apprentissage. L’objectif de la lenteur est d’accroître au maximum la précision des mouvements en appliquant rigoureusement les principes de l’art jusqu’à ce qu’ils deviennent naturels en relaxation profonde.

Cette vitesse douce accompagnée de la décontraction a conduit de nombreux pratiquants méconnaissant les principes fondamentaux du taiji à ne plus considérer cette discipline que comme une gymnastique de santé. Malheureusement, l’abandon des aspects martiaux est généralement synonyme de celui des principes fondamentaux de l’art, limitant ainsi sensiblement les bénéfices potentiels de la discipline y compris ses aspects de bien-être et de santé.

Ainsi, très peu de pratiquants de taiji quan possèdent de véritables compétences martiales acquises grâce à cet art car leur travail n’a quasiment plus aucun rapport avec le taiji quan d’origine.

De nombreuses autres causes ont contribué à la transformation de cet art martial en des disciplines très variées. Leurs analyses dépassent le cadre de cet article. On peut toutefois retenir que le choix de la plupart des maîtres de taiji quan de maintenir secrets les bases de leur pratique reste un facteur prépondérant de cette évolution.

Conclusion

Le taiji quan a été pendant plusieurs siècles un art martial dont les principes ont été maintenus relativement secrets par la famille Chen. Cela a entraîné le développement et la diffusion de nombreuses variantes qui, vidées des principes de base de la discipline initiale, ne partage plus grand chose avec l’art martial originel.

De plus, comme la décontraction et la lenteur font généralement partie des entraînements, parmi les nombreuses dérives de cet art martial on compte énormément de gymnastiques de bien-être, de santé, de relaxation…

On peut donc répondre à la question initiale de cet article : que signifie « taiji quan » aujourd’hui ? Cette locution désigne actuellement des disciplines très variées allant de la gymnastique d’entretien pour personnes du 3e âge jusqu’à un art martial dont l’efficacité a été démontrée pendant plusieurs siècles. Ainsi, avant de s’inscrire dans un club, il est prudent de se renseigner sur le type de discipline pratiquée.

Au CEPI, nous transmettons une version martiale de cet art dérivée de l’enseignement de la famille Chen en insistant particulièrement sur les principes fondamentaux. Bien que notre objectif soit l’épanouissement de l’individu, nous somme convaincus dans notre lignée (cf. page Lignée) qu’abandonner le cadre martial a toutes les chances de limiter les compétences des élèves. En effet, comment progresser à un bon niveau dans une discipline s’il n’y a pas de retour sur la qualité de ce que l’on réalise ?

Ainsi, les aptitudes martiales ne sont pas un objectif en soi, mais un moyen d’évaluer la qualité des postures et des mouvements nécessaires à une relaxation profonde. Sans cette décontraction intense, le développement de la sérénité et du bien-être pourraient être plus limités. Il est d’ailleurs fréquent que des élèves venant d’écoles étiquetées « santé/relaxation » ressentent des bénéfices plus importants au CEPI, tant du point de vue de la forme générale (énergie) que de la santé, après seulement une demi-saison chez nous.

Certains pourraient s’étonner que les liens entre le taiji quan, la santé, la philosophie et le qi gong ne soient pas abordés ici. La raison est que l’objectif de cet article est d’expliquer historiquement comment un art martial a pu se transformer en autant de disciplines qui portent toutes le même nom. Chacune des relations susmentionnées fera l’objet d’un article dédié.